Il est jeune et dans la force de l’âge, il a un joli appartement dans un nouveau quartier où il fait du télétravail. Bref, tout semble aller bien pour lui. Du coup, le coronavirus, la pandémie, les morts… il a beau en être conscient, mais tout ça ne le touche pas outre mesure. Fatigué d’être à l’isolement, il a commencé depuis quelques jours à faire la fête, dans son salon, avec une bande d’amis.
Le soir, avec les rideaux à moitiés baissés, ils boivent, fument, dansent, s’enlacent, partagent leurs bouteilles… comme avant. Même le décès, il y a trois semaines, de sa grand-mère ne freine pas chez le jeune homme ce besoin viscéral de retrouver du lien humain, de se sentir vivant à nouveau. Attention, le jeune homme est loin d’être un je-m’en-foutiste, il n’hésite d’ailleurs pas à aller aider sa voisine âgée à ramasser ses courses quand celle-ci les fait tomber dans la rue au retour du supermarché. « De quoi nourrir toute la famille » pense-t-il alors que la vieille dame habite toute seule.
Tel est le contexte de Vis à vis, un court métrage de 16 minutes d’Émile V. Schlesser sur la vie et les réflexions de la jeunesse grand-ducale en période de confinement, réalisé dans le cadre du projet Quickies. Lancé pendant la pandémie par l’asbl Filmreakter et les réalisateurs-producteurs Adolf El Assal et Govinda Van Maele, cette série regroupe 18 réalisateurs – ou duos de réalisateurs – qui disposent chacun d’un budget de 2020 euros pour produire un court métrage d’une dizaine de minutes. Les réalisateurs peuvent dépenser cette somme à leur guise et ont carte blanche au niveau du genre ou de la thématique de leur film.
Premier à avoir livré son produit fini, Émile V. Schlesser, qui a sorti l’an dernier Superhero, se penche donc sur la pandémie elle-même et sur la manière dont celle-ci et les différents confinements et autres couvre-feux ont été vécus par les Luxembourgeois et surtout les jeunes adultes du pays.
Un récit tiré d’une histoire vraie
« Le film est tiré d’une histoire vraie » explique le réalisateur. « Pendant le deuxième confinement, en novembre de l’année dernière, nous avons reçu quelques amis à la maison. À un moment de la soirée, après avoir bien fait la fête et avoir bien bu, je suis sorti sur le balcon et j’ai remarqué que la lumière de l’appartement d’une voisine âgée n’avait plus été éteinte depuis plusieurs jours. Je me suis alors demandé ce qui avait bien pu arriver à cette vielle dame et j’ai commencé à m’inquiéter. On a alors appelé la police pour leur faire part de notre inquiétude, mais je n’ai pu obtenir aucune information puisqu’on a pas de liens familiaux ». Il en faut pas beaucoup plus au diplômé de la Kunstakademie Düsseldorf pour écrire Vis à vis.
Un film tourné en mars de cette année, en trois jours seulement – « mais beaucoup d’heures de tournage » souligne le cinéaste – avec ce budget ridiculement bas de 2020 euros. « J’adore cette manière de travailler » note Émile V. Schlesser. « Ça enlève tellement de pression par rapport à certaines grosses productions. C’est comme ça qu’on fait les meilleurs films ! ». Et d’ajouter : « J’aime cette idée de revenir aux fondamentaux, à quand nous étions jeunes et que nous avons tous commencé à tourner des films. Mon frère Tommy (NDLR : qui joue le rôle principal dans le film) et moi avons grandi en tournant des films avec la petite caméra vidéo que nous volions à mon père. Et c’est un peu la même chose que nous avons fait ici ».
Une énorme envie de tournage
Toute l’équipe a accepté de faire le film de manière bénévole et avec les moyens du bord – « les acteurs s’occupaient également du catering » rigole le réalisateur. Le tout par amitié, par intérêt pour le projet, mais aussi parce que « tout le monde avait une énorme envie de nouveaux projets, de tournage et tout particulièrement de reprendre le travail avec un projet court et rapide . Le budget a été utilisé pour la location de matériel et », insiste Émile V. Schlesser, « pour payer les tests PCR pour toute l’équipe et d’autres trucs en lien avec la Covid ».
Vis à vis est donc le premier film disponible sur la plate-forme quickies.lu. Les 17 autres suivront. Sa durée, limitée à 16 minutes, oblige bien évidemment le réalisateur à faire quelques ellipses et quelques raccourcis un peu brusques – la rencontre avec la voisine le jour même de la soirée, l’arrivée puis le départ des policiers… – mais le film est de belle facture, avec ses images au plus près des personnages, son cadre aux mouvements nerveux qui permettent de suivre la discussion entre les participants, sa photographie qui aime jouer avec l’obscurité et les reflets et puis ce casting réussi avec ces acteurs jouant au plus juste et donnant corps à des propos sur la pandémie allant du plus paranoïaque au plus insouciant. « C’est une fiction » rappelle le réalisateur, « mais tous les dialogues tenus par les personnages sont en fait des phrases que j’ai entendues à Luxembourg au sujet de la pandémie ».
Résultat, en un quart d’heure à peine, Émile V. Schlesser parvient à résumer, à travers la création cinématographique, la vie des jeunes luxembourgeois pendant la pandémie, mais aussi, quelque part, les différents avis de la population grand-ducale sur les bonnes et les mauvaises décisions prises par les dirigeants pendant cette période on ne peut plus particulière. C’est fort !
Pablo Chimienti